Swine Of Satan - Interview par Marcel Fourchon

Peu de groupes, à l'heure actuelle, présentent une personnalité aussi affirmée que Swine Of Satan. Cette formation française, menée par le multi-instrumentiste Christian Farmer, pratique un metal extrême efficace et accrocheur mélangeant black, heavy et thrash. La particularité notable de leur oeuvre provient des textes, mettant directement en scène la vie de fermier de Christian et les plus terrifiantes légendes du terroir périgourdin. Ayant eu la chance de rencontrer ce talentueux agriculteur dans sa ferme de Pouchou en Dordogne, nous avons passé en revue toute l'histoire de Swine Of Satan jusqu'à la sortie de leur premier album, le très attendu Battles In The Farm. Retour aux origines...

 

La genèse du Metal Fermier

C'est au printemps 2001 que naît Swine Of Satan, dans l'esprit du multi-instrumentiste Raymond Peydaujac, plus connu sous le nom de Christian Farmer. Ce paysan du Périgord, profondément passionné par sa terre natale et éleveur porcin confirmé, sillonnait régulièrement les forêts de chênes verts en compagnie de ses cochons, en quête de truffes et d'inspiration musicale. Ayant par ailleurs une longue expérience en terme de composition et d'arrangement, il lui vint alors une idée : il tenterait l'impossible et fonderait la première vraie formation de Metal Fermier, laissant les rares pionniers du style loin derrière. Comme en témoigne le brave Périgourdin :"Y'a ben eu des groupes qu'ont fait c'la, jouer du Metal en parlant d'leur travail d'la ferme, mais ils z'y étaient pas à fond d'dans, boudiou ! Des fois y t'causent d'leur vache, et d'la vieil' Germaine qu'est presqu'aussi gross' qu'elle, mais à côté y t'font tellement d'chansons qu'ont ren à voir qu'ça veut plus dire grand-chose tout ça...".

La première année de Swine Of Satan fut la plus marquante pour l'avancée du projet ; Christian, obsédé par d'incessantes visions, arpentait les champs ivre mort, parlant à ses vaches et à ses lapins. Les souvenirs qu'il en a gardé furent la principale inspiration du premier disque du groupe, Battles In The Farm : "Chaqu'nuit, j'étais tiré d'mon somme par des bramades qu'arrêtaient jamais. C'était comme si tous les vaïrats d'mon étable s'étaient mis à grogner, à faire un boucan d'tous les diables, et parfois ça durait des heures entières... (il prend une mine sinistre) Gruiiik ! Gruiiiiiik ! Alors j'descendais d'mon lit et j'allais voir aquel c'était qui f'sait ça, et là c'tait toujours pareil : les bestioles elles m'sautaient d'ssus par poignées entières, les poulets y m'péquaient les coïlles, les porcs y m'tapaient à coups d'poireaux ou d'concombres, et l'pigeon... y'avait toujours c'maudit pigeon qui m'tombait dessus, au début s'me faisait chaud au crâne, mais après j'me réveillais en bramant comm'une pucelle, et miladiou ! pour ren, ren au monde j'voudrais r'voir ça... Chaqu'matin, j'allais traire les vaches et aussitôt j'filais sous l'tonneau pour assayer d'oublier c'te cauchemar, mais chaqu'nuit c'était itou..."

C'est à la même période que Christian a acquis du matériel d'enregistrement et installé son studio dans sa ferme de Pouchou, en Dordogne : "J'aurais pu m'démerder comme tous les autres, fout' mon ampli sur l'cagadou et la batterie dans l'foin, mais j'aurais vraiment sonné comme d'la merde et ça j'voulais pas. Tout l'monde le fait, y sonnent comm'si ils étaient sur l'trône et y brament comme un gars qu'a la fouïre. Si ils veulen qu'degun les ouïsse, soit, 'fin c'est ben porri quand même..." Quant au choix du modeste lieu-dit périgourdin, c'est une évidence pour Farmer : "Où d'autre t'aurais voulu que j'me mette ? Ici y'a tout, y'a les bêtes, y'a les champs, y'a le pech où j'peux grimper et aguicher l'riou, y'a les forêts d'chênes, et surtout... (il se redresse) surtout, c'est mon pays, c'est ma terre, ma terrrrrre ! J'suis plus bon à rien sans elle, tu m'foutrais dans un bloc de béton sous les pigeons, là, j'pourrais ren faire, ren du tout..."

 

Le labeur des champs

Une fois installé dans son studio, Christian décida de s'atteler immédiatement à la composition, au début sans trop d'arrières-pensées. Très vite, deux morceaux furent prêts, mais à cette époque, l'idée d'un concept-album sur la révolte des animaux n'avait pas encore germé dans son esprit. Cependant, "ça a tout de suite été vachement influencé par mes rêves, par ma terre, par ces putains d'images parfois horribles qui s'formaient tout au fond d'ma cervelle", raconte Farmer. "J'ai d'abord commencé par écrire un texte sur des vaïrats qu'ont reçu l'Diable dans la peau et qui partent à l'aventure pour servir l'Malin. Comme j'avais pas force d'idées à l'époque, j'ai appelé ça Swine Of Satan, tout simplement. Ensuite, y'a c'morceau qui bourre comme un âne, là, qui raconte simplement ce que j'voyais tout'les nuits deux mois avant. Ça peut t'sembler ben couillon, mais (il baisse les yeux) j'te jure sur ma Sainte Verge que j'les entendais pour de vrai, ces bestiaux qui bramaient ! J'ai aussi beaucoup rêvé d'batailles, comme si les bêtes elles d'venaient folles avec la pleine lune, et qu'elles allaient s'foutre sur la gueule à grands coups d'légumes. J'sais très bien qu'y'a qu'nous les hommes pour faire ça, mais c'était tellement horrible d'voir tous ces corps dans mon étable... Du coup, j'ai appelé l'morceau Battles In The Farm, et ensuite j'ai donné c'nom-là à l'album passque ça résume bien l'histoire, en fait. Et aussi en hommage à des types de là-bas-dans-l'Nord qui vivent à fond leur culture, eux aussi. D'ailleurs ça fait pas longtemps qu'ça existe pus, c'est ben dommage..."

C'est seulement ensuite que le concept fut écrit : "J'ai ben r'marqué qu'ces deux chansons étaient pas si différentes, qu'ça parlait à chaque fois d'cochons, d'fermiers et tout l'bordel... Entre-temps j'avais lu un livre, un des rares bouquins qu'on peut s'trouver dans ces librairies d'village, qui racontait l'histoire d'animaux qui s'rebellent et prennent l'contrôle d'leur ferme, sous l'command'ment d'gros vaïrats qui finissent par s'foutre de leur gueule et en faire des esclaves !" (Ndlr : il parle certainement de La Ferme Des Animaux de George Orwell, l'auteur du légendaire 1984). "Donc j'me suis dit : tant qu'à faire, autant y aller jusqu'au bout, et faire un putain d'concept-album. Tout l'monde va certain'ment pas aimer, y'aura forcément des coïllons pour enculer les mouches et s'plaindre que j'parle pas d'montagnes et de fjords, mais ces cons-là ils en ont déjà vu en vrai, un fjord ? Les types y parlent de c'qu'ils connaissent pas, et à côté y t'râlent dessus quand tu fais pas comme y disent. Sauf que moi, j'ai pas b'soin d'eux pour aller traire mes vaches, le matin."

La composition de l'album s'étalera sur près d'un an, Christian ne voulant surtout pas bâcler son travail. Mais le résultat en vaudra la chandelle : Battles In The Farm est un condensé (en un seul mot...) de tout ce que les campagnes françaises ont produit de mieux ces vingt dernières années, et très certainement le meilleur disque de Metal Fermier jamais sorti. Tempos variés, allant du lourd et lent quasi-doom au blastbeat, riffs hyper-accrocheurs, son puissant (ce qui est suffisamment rare, dans ce style, pour être souligné) mélodies soignées, chant torturé, et surtout ces ambiances incomparables, ce côté quasi-visuel qui ressort de chacune des huit compositions de Farmer... Les textes, sinistres et majestueux à souhait, dépeignent les cauchemars d'un fermier à bout de souffle, que la folie commence à ronger, et l'épopée captivante des Cochons de Satan, autrefois esclaves soumis, maintenant mastodontes invincibles et terrifiants. Mais nul besoin de les lire jusqu'au moindre détail pour s'imprégner de l'esprit si particulier du Metal Fermier : les interludes et passages ambiants, bruités avec force animaux, font leur effet imparable. "J'ai enregistré toutes mes bêtes", raconte Christian, pas peu fier. "Y'a surtout les cochons et les canards qui r'viennent régulièrement dans l'disque, mais y'a aussi des poules, ma jument, une chèvre, des moutons, des oies, un chat sauvage, deux grenouilles, mon chien, et même ma gross' pofiasse de Germaine ! (rires gras) C'était pas triste, de d'voir m'balader jusque dans les étables avec un micro, mais j'leur devais ben ça, depuis l'temps qu'elles m'font vivre..."

 

Un humble paysan devenu une icône controversée*
*toute ressemblance avec un personnage réel est purement accidentelle

Mais cette profusion de moyens n'est là que pour servir la grande force du groupe en général, et de ce disque en particulier. Ce concept fouillé est certainement la chose dont Christian est le plus fier, principalement à cause de son côté personnel. Explications : "Quand tu r'gardes c'que sortent les types qui évoluent dans l'même genre, ils vont t'parler d'Satan, d'Vikings, d'choses comme ça... Mais à ton avis, est-ce qu'ils sont vraiment bien placés pour chanter sur des trucs qu'ils ont jamais vus d'leurs yeux ? Tu peux être vachement cultivé, avoir lu plein d'bouquins sur les Vikings, mais c'que ces coïllons y comprennent pas, c'est qu'c'est pas ça qui fait qu't'en es un ! Moi, j'dis pas qu'c'est la révolution c'que j'fais, mais au moins, quand j'dis "J'ai vu ci... J'ai fait ça..." c'est qu'j'l'ai vraiment fait, dans ma vraie vie. Ce disque, c'est basé sur tout un putain d'épisode d'ma vie, tous les événements racontés là-d'dans, j'les ai vus de mes yeux. Leeks Of Doom, c'était quand j'ai oublié d'refermer la porcherie après avoir bu quelques canons l'soir. Boudiou, y m'ont dévasté tout l'potager les vaïrats ! Funeral Frog, c'était quand j'ai voulu bouffer d'la cuisse de grenouille et qu'j'ai pas pu bouger du reste d'la journée tellement ça m'avait foutu la fouïre... 'Fin bref, là-dedans j'ai voulu expliquer qu'y faut pas sous-estimer l'pouvoir des bêtes. On dit qu'elles sont connes, mais faut pas oublier qu'sans elles on s'rait rien."

Cet attachement pour les animaux serait-il à l'origine du style que revendique le groupe, "Ture Animalistic Farm Metal" ? "J'suis pas normand, mais oui et non... d'un côté, ça r'vendique bien la victoire de l'animal sur l'homme, du païen sur le chrétien, du Malin sur Dieu... mais d'l'autre, c'est plus une apologie d'la bestialité. Un animal, quand il a faim, y s'pose pas d'questions, y bouffe, même si la proie est vivante et qu'è brame comme un gosse. Et c'est comme ça qu'y survit, les gens en ont plus trop conscience maintenant. Faut dire qu'ils savent pus r'connaître un poulet d'une oie, alors à savoir comment qu'ça bouffe..." Cette attitude, ainsi que certains aspects musicaux du groupe, peuvent rappeler de nombreuses formations de Black Metal, mais Christian se défend d'être rattaché à un tel mouvement : "J'y crois pas à toutes ces conn'ries d'étiquettes. C'est d'la cagade. Aujourd'hui, quand tu dis qu'tu fais du black metal, soit t'es un trou qui fait d'la fouïre sur son trône et c'est tout l'temps la même merde, soit tu fais aut'chose et y'a toujours des coïllons pour t'péter les roustons. Remarque, y'a tellement d'trucs qu'on assaye de t'vendre sous c'nom-là... 'Fin bref, j'fais du Metal Fermier et rien d'autre, après si y'a des types pour râler que j'suis pas trou, y peuvent aller s'faire enzobiner l'trou à taupe jusqu'à la gorge."

En outre, Battles In The Farm contient une bonus track : une reprise inédite et déconcertante du classique de Burzum, Lost Wisdom. Son orientation très folklorique reste fidèle aux racines païennes du groupe, mais ne manquera pas de créer la controverse parmi les puristes, ce qui est totalement recherché d'après Farmer : "J'm'en doute qu'ça va en faire râler des coïllons, 'fin tu sais, c'est un peu l'but... Les types, y s'croient être les fils du Malin, y prêchent le blasphème, l'irrévérence et tout l'bordel. Mais gare à toi si jamais tu touches à c'qu'ils aiment ! Moi, j'suis pas comm'ça, et tout c'foutoir, ben s'me fait ben marrer. J'voyais pas l'intérêt d'refaire la chanson à l'identique, donc j'ai décidé d'en faire d'la pure musique païenne, et d'façon, y'a d'jà un groupe de là-bas-dans-l'Est, là, j'sais plus comment qu'y s'appelle (ndlr : peut-être parle-t-il de Nokturnal Mortum ?) qui fait des trucs dans l'genre avec des guitares derrière... Et pour l'chant, ben j'ai toujours trouvé qu'ce type, là, Attila (ndlr : qui a chanté sur l'album culte de Mayhem, De Mysteriis Dom Sathanas) avait une voix d'fermier, et parfois même un peu d'canard. Maintenant, il vient p'têt d'une grand'ville, moè j'en sais trop rien, mais sa façon d'chanter collait ben, donc j'ai fait un truc qui r'ssemble à la fin d'la chanson."

Et le tout est gratuit ! Très pragmatique quant à la distribution de son disque, Christian a décidé de mettre Battles In The Farm au format MP3 sur le site du groupe, afin que tout un chacun puisse se faire sa propre idée de Swine Of Satan et de sa musique. "J'suis pas fou, tu sais...", explique le vieux fermier avec une lueur de malice dans les yeux. "J'sais ben qu'j'aurais pu m'faire quelques sous en vendant l'disque comme n'importe quel autre, mais ç'aurait forcément touché moins d'monde qu'en faisant ça, en l'donnant à qui n'en veut sans qu'ça coûte ren à degun... Puis à vrai dire, j'pense que c't'album est trop personnel pour que j'puisse m'permettre d'me faire du blé d'ssus. C'est pas d'la marchandise, c'que j'fais, c'est l'récit d'une vie d'fermier. Et ça, ça s'ra jamais à vendre !" assène Farmer d'un air convaincu. "Puis au pire, si l'type qu'écoute l'album, y trouve qu'c'est pas assez trou-y-vole-le-pigeon pour lui, ben c'est pas grave vu qu'il a ren payé. Comme ça, tout l'monde il est content !". Gageons que ces insatisfaits resteront peu nombreux ; emmené par l'âme profondément fermière de ce brave agriculteur périgourdin, Swine Of Satan a tout pour devenir culte, et Battles In The Farm en est le premier témoignage.

 

Marcel Fourchon
Interview réalisée le 29 août 2003 à Pouchou, France